Pose longue avec Florence AT

Vendredi 6 mai, 18H00, Victor Hugo à la sortie du boulot. La timidité du printemps qui tarde encore à s’affirmer malgré le mois de mai, ne décourage pas la vie sur les terrasses. Rendez-vous avec Florence At …

Entrevue réalisée par Benoît
Son goût pour la transmission à travers ses années où elle enseignait en école de photo mais aussi au quotidien. Sa générosité, son humanisme et son humour nous ont accompagnés tout au long de cette série : « Une pose longue avec ».
Photo Florence AT
Une femme âgée photographiée devant sa tente dans un camp de réfugiés yésidis au nord de Mossoul.

Bonjour Florence. C’est un plaisir de prendre une pose longue avec vous. Merci de votre temps pour cet échange pour l’association Poussière d’Image que vous connaissez bien.
Pour celles et ceux qui ne vous connaissent peut-être pas encore ou pas assez, vous êtes une
photographe auteure depuis 1998. Vous êtes à la fois photoreporter, photojournaliste, photographe de sport, de rue, formatrice également. Photographe sur le vif, photos de la vie quotidienne, photos de la vie tout court. Est-ce que vous vous reconnaissez dans ces mots ?

De manière générale, je dirais que je suis photographe de l’instantané. Claude Lelouch que je trouve toujours très juste sur la société disait dans une récente interview :  « je suis plus un metteur en vie qu’un metteur en scène». C’est dans cette idée que je me reconnais, je photographie bien la vie que je vois autour de moi. Comme un jeu, il faut être aux aguets en permanence, il peut se passer quelque chose à tout instant : je viens de réaliser une photo depuis ma voiture d’un abribus où une scène se composait sous mes yeux. Mon problème est que j’ai des tonnes d’images à trier par la suite !

Vous êtes également photo-reporter, est ce que l’on peut s’interdire certaines photos quand on est sur le terrain ?

C’est au cas par cas. Tout dépend de l’endroit où l’on se trouve et de ce qui s’y passe, mais c’est le plus souvent de l’ordre de l’instinct. Ce qui prime toujours, c’est l’information, témoigner de ce que l’on voit. Quand on fait du photoreportage, malgré l’empathie liée à certaines rencontres, il faut savoir mettre un peu de distance pour faire de bonnes images. Cela ne m’a cependant pas empêché de belles rencontres avec des gens qui n‘ont pas la même existence que la mienne et sont devenus des amis.

Doit-on partir partout, envers et contre tout dès que l’occasion se présente ?

En ce moment, on parle beaucoup de l’Ukraine dans le milieu du photojournalisme et de l’intérêt d’y aller ou pas. Je pense que photographe de guerre ne s’improvise pas, même s’il est vrai que c’est un métier que l’on apprend sur le terrain. Il y a tout un tas de paramètres à prendre en compte. Il faut obtenir des autorisations, recruter un fixeur, avoir du matériel de protection… Il faut aussi être conscient que la photo de guerre peut causer des dégâts psychologiques irréversibles. Enfin et surtout, il faut une commande d’un journal ou d’un magazine. Partir sans commande est à mon avis presque suicidaire parce que les rédactions apportent un support logistique en cas de besoin et bien sûr un financement. Ce métier fait vivre, il ne faut pas l’oublier. Même si c’est un métier de passion, contrairement aux amateurs, ce n’est pas un loisir.

Une composante importante de votre travail est la pédagogie et la transmission. Vous êtes d’ailleurs l’autrice de nombreux ouvrages ; les photographes débutants comme expérimentés peuvent vous retrouver chez DUNOD : les 365 lois de la photographie(ouvrage collectif) et 100 analyses photo (co-écrit avec Fabien Ferrer). Quel serait votre conseil du jour ?

Lâcher le viseur et observer. Déclencher sans observer ne sert à rien. Trop de personnes shootent très vite sans observer et se retrouvent avec 300 photos sans avoir jamais vraiment regardé et donc rien construit artistiquement. Commencez par regarder avant de vouloir faire des images. Tant de gens prennent la Tour Eiffel en photo et tournent autour après, alors qu’il faut faire l’inverse. La première image est peut-être du meilleur point de vue mais il en existe peut-être un encore plus intéressant. C’est un exemple que je donne dans mes cours car il parle à tout le monde. On a de la chance d’être de voir, autant en profiter !

Sur les ouvrages et les cours de photo, j’aime transmettre et si je peux aider les autres à réaliser de belles images, je le fais. Transmettre, c’est notre rôle de faire ça. J’ai créé ma propre structure d’enseignement il y a près de 10 ans : www.coursdephoto.net. L’idée est d’apprendre à des amateurs à s’améliorer. Souvent il ne faut pas grand-chose pour progresser et avec les conseils de pros, ça va très vite. J’aborde un peu tous les thèmes : de la photo de rue, de la composition, de la technique pure, photo de nuit etc. Il y a des thèmes sur mon site internet mais chacun peut venir avec son thème que l’on va travailler ensemble. Certains viennent avec des projets beaucoup plus conséquents et veulent travailler sur l’intime, leur histoire personnelle. On monte alors le projet ensemble qui aboutit à des bouquins ou à des expos de leur travail. Ces personnes qui sont des amateurs au départ, avec un autre métier à côté, quand on voit le résultat, c’est formidable. J’aime les images qui ont du sens. Si je peux accompagner à parvenir à un bon résultat alors j’en suis heureuse.

Je fais ça dans mon quotidien aussi, quand je vois une personne qui photographie en faisant quelques erreurs basiques, je peux aller vers elle et lui proposer une autre façon de faire ou un autre angle. C’est mon côté « prof » sans doute que l’on me reproche parfois.

On peut observer une grande importance des rencontres dans votre travail. La rencontre avec vos modèles, vos sujets, vos élèves mais aussi avec d’autres photographes. Je pense notamment à Reza qui a donné naissance à « Dans l’œil de Reza. 10 Leçons de photographie » paru en 2020. Encore une histoire de rencontre ? C’est un sport d’équipe la photographie ?

Pour moi, oui ! Clairement. Le parallèle avec le sport est amusant. Une autre de mes passions est le tennis et je préfère largement jouer en double ou en équipe. Il me semble que l’on est plus fort à plusieurs.

Avec Reza, nous nous sommes rencontrés à Toulouse. Pendant un an, nous avons formé des jeunes de la Reynerie et du Mirail à la photographie. Ils ont fourni un travail incroyable qui a été exposé dans plusieurs lieux. Notre projet dans la continuité est de former des enfants à la photographie partout dans le monde. Nous l’avons fait en France avec le service civique, tout comme au Kurdistan au sein des camps de réfugiés Yézidis. Le but est de permettre aux jeunes d’avoir un outil qui leur permette de s’évader mentalement de situations de vie difficiles, mais surtout qu’ils deviennent des témoins de leur quotidien.

Nous avons souhaité mettre dans le livre « dans l’œil de Reza » la manière dont on fonctionne tous les deux sur le terrain. Nous avons une approche complémentaire : Reza axe sa formation sur le sens de l’image et moi plutôt sur la technique. Nous nous répartissons les rôles de cette façon. Nous avons été rejoints sur ce projet par Rachel Deghati, qui a de très belles qualités d’écriture et vient d’ailleurs de publier son premier roman. Elle a rédigé tout ce qui concerne le contexte des images. Ce livre a été traduit dans différentes langues et il vient même de paraitre en coréen.

Oui la photographie est une histoire de partage. J’ai été vice-présidente de Freelens plusieurs années jusqu’à fin 2021. Cette association vise à promouvoir le travail des photographes au travers de prix et de festivals. C’est tellement enrichissant ! Il faut rencontrer d’autres photographes, aller vers les autres, c’est très important. Candidater à des prix, des bourses, aller dans des festivals comme les incontournables de Visa ou Arles, mais aller aussi dans des évènements plus confidentiels. Un festival que je conseille vivement : www.lesfemmessexposent.com qui se tiendra du 8 juin au 4 septembre 2022, à Houlgate en Normandie.

Quel matériel utilisez-vous par rapport à votre style et votre approche de la photo ?

Je travaille avec du matériel Canon depuis le début de ma carrière, à part une petite incursion chez Nikon lorsque je travaillais pour l’agence Vandystadt, c’était la marque obligatoire de l’agence à l’époque. J’ai la chance de collaborer avec Canon au travers de workshops et j’aime beaucoup cette entreprise. Ce sont des personnes qui ont des valeurs et qui font ce qu’ils disent. Ils sont fiables, c’est assez rare aujourd’hui et très appréciable.

Sur le terrain, je prends le matériel le plus adapté en fonction de ce que je veux faire. J’aime plus le zoom que la focale fixe. A vrai dire, la focale fixe m’ennuie un peu. Le 70-200 est mon objectif favori, je ne suis pas forcément très loin de mes sujets, au contraire plus proche qu’avec un objectif fixe.

Je suis récemment passé à l’hybride. Ces nouveaux appareils sont très faciles à utiliser et j’ai gagné plus d’un kilo sur mon épaule en passant du 1Dx à l’Eos R6 et ses nouveaux objectifs. La plupart du temps je n’ai même pas besoin d’un R5, le R6 a un super capteur qui répond à pas mal de mes besoins.

Pour autant je ne suis pas exclusive à une seule marque. L’année dernière, j’ai sollicité mon ami Georges qui dirige le magasin de photo Numeriphot à Toulouse. J’avais besoin de matériel pour un projet artistique personnel sur le tournoi de Roland-Garros pour photographier depuis les gradins sans accréditation. Ce matériel devait passer les contrôles de sécurité du public. Je lui ai donc demandé de me trouver un appareil silencieux, assez compact mais performant. Il m’a conseillé et prêté un bridge Leica avec un zoom très puissant et très silencieux. A mon retour, je lui ai acheté cet appareil tant il me convenait bien par certains aspects, notamment celui de ne pas être repérée comme pro dans certaines situations.

Il y a du bon dans chaque marque. Il faut juste avoir le matériel adapté au sujet. Toutefois, un élément important que j’évoque souvent avec mes élèves : il faut savoir s’adapter avec ce que l’on a et on ne fait pas la course à l’armement. Le montant du sac photo ne fait pas le bon photographe …

Quels sont vos projets en ce moment ? Une expo ? Un nouvel ouvrage ?

Une expo courant juin au sujet d’un travail aux US qui remonte à une dizaine d’années. J’avais alors arpenté plusieurs états américains. Il y a beaucoup d’instantanés jamais montrés. L’avantage de photographier depuis 20 ans est que l’on a des sujets qui redeviennent intéressants avec le temps. Il faut juste refaire un éditing cohérent.

J’ai deux livres en prévision mais leurs thèmes sont encore secrets. J’écrirai le premier seule et l’autre sera co-écrit. Ce sont des projets qui me tiennent à cœur, toujours dans la transmission, mais aussi dans l’évolution de la photographie. Il faut environ un an pour écrire et finaliser un ouvrage, alors rien ne sortira avant 2023.

Enfin la dernière question, quel est l’accessoire qui vous est précieux pour un shooting ?

Le smartphone. Encore de l’instantané. Il n’existait pas quand j’ai commencé la photo en 1998, nous n’avions que de simples téléphones portables. Depuis que l’on est équipés de smartphones, tout est à portée de main ! Cela me permet sur le terrain de partager immédiatement une photo faite avec mon appareil hybride à une personne photographiée, un client ou un réseau social. Le smartphone me permet aussi de me diriger, de rechercher et surtout de trouver rapidement une information. Je m’en sers comme bloc-notes, mais aussi comme un vrai appareil photo dans certaines circonstances. Je peux prendre des photos tout le temps et en toute discrétion, comme dans le métro parisien où il y a une image à faire à chaque seconde. Les gens ne me remarquent pas. En travaillant les cadrages, la lumière et en connaissant les limites techniques de cet outil, on obtient de très bons résultats avec l’appli intégrée du smartphone. C’est devenu indispensable. Il faut vivre avec son temps !

Retrouvez Florence At sur Facebook:
https://www.facebook.com/flophoto
Instagram avec de nombreux instantanés : www.instagram.com/florence_at_photo
Site internet : www.florenceat.com